Prochain permis côtier à compter du 09 septembre 2024, inscription à l'Igloo à compter du 15 août

La Chasse à l’enfant

La Chasse à l’enfant


Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île
On voit des oiseaux

Tout autour de l’île
Il y a de l’eau


Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu’est-ce que c’est que ces hurlements


Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Il avait dit « J’en ai assez de la maison de redressement »
Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l’avaient laissé étendu sur le ciment


Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant, il s’est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes, les touristes, les rentiers, les artistes


Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Pour chasser l’enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s’y sont mis
Qui est-ce qui nage dans la nuit ?
Quels sont ces éclairs, ces bruits ?
C’est un enfant qui s’enfuit
On tire sur lui à coups de fusil


Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage


Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent ? Rejoindras-tu le continent ?
Au-dessus de l’île
On voit des oiseaux
Tout autour de l’île
Il y a de l’eau


Jacques Prévert

 

27 août 1934. Belle-Ile-en-Mer, maison d’éducation surveillée : c’est le nom que portent à présent les colonies pénitentiaires. Il est 19 heures au réfectoire, les pupilles se mettent à table. L’administration a fait en sorte qu’on ne les appelle jamais des détenus, ils étaient des «colons» avant 1927, ils seront après la guerre des «élèves». «L’un des adolescents, trop impatient, mange un morceau de fromage avant d’avoir avalé sa bolée de soupe, ce que le règlement interdit», explique l’historien Christophe Belser dans le Bagne des enfants, où il retrace l’histoire de l’établissement carcéral de Belle-Ile, inauguré en 1880. La sanction tombe aussitôt sous la forme de coups infligés par un moniteur et d’un placement au régime du pain sec. Mais devant la brutalité du surveillant, les détenus prennent la défense de leur camarade. Le ton monte et la situation dégénère très rapidement. Quelques meneurs donnent le signal d’une révolte générale ; les quelque trois cents pupilles se ruent sur les cinq gardiens présents.»

Cinquante-six pupilles «mettent le bâton», mettent les bouts, mais une fois les murs franchis, que faire ? Ce n’est pas pour rien qu’on a choisi une île, cela complique les évasions. Commence la chasse aux enfants, 20 francs par tête. La population locale s’y met de bon cœur, les estivants ravis donnent un coup de main, on s’amuse bien. Vingt-quatre heures plus tard, les fugitifs sont repris, sauf un, probablement mort, mais dont on rêve qu’il a pu voler une barque. Jacques Prévert est en vacances sur l’île. La traque l’horrifie.